lundi 26 mai 2014

La CAF ferme ses portes pour mieux les entrouvrir plus tard

Depuis plusieurs mois, les accueils de la caisse d'allocations familiales des Bouches-du-Rhône sont fermées au public. La direction y voit l'occasion de réduire le stock important de dossiers en attente tout en modifiant en profondeur le service au public. Une réforme qui fait grincer les dents en interne et parmi les allocataires.


Une file d'attente se forme devant l'antenne de la CAF des Bouches-du-Rhône, rue Malaval. Pourtant ce centre est fermé depuis la fin mars comme l'ensemble des antennes du département. Une grille fermée l'atteste. Ce jeudi de la fin mai, tout le monde n'est pas au courant : Une dame s'étonne de ne pas trouver l'accueil ouvert et rebrousse chemin. Les autres allocataires sont là pour utiliser la borne interactive qui leur permet d'obtenir une attestation ou glisser une pièce complémentaire. Depuis plusieurs minutes, un homme se bagarre avec la machine et, derrière lui, les autres s'impatientent. 

Rue Malaval (3e), la queue s'est déplacée du guichet à l'automate.
Mariama Hassani
Leur sujet de prédilection est justement la fermeture de l'accueil qui a considérablement compliqué leur relation avec l'organisme social. La cinquantaine, Khader s'énerve : "Est-ce qu'ils ont le droit de faire ça ? Cela fait trois fois que je dépose l’acte de naissance de mon petit­-fils". Souvent le défaut d'informations ajoute de la complexité. Dans la file, une autre dame découvre qu'un accueil téléphonique est ouvert. Là encore, ce numéro en 08 est un sujet d'énervement.

En effet, cette plateforme téléphonique nationale est payante : 7 centimes la minute depuis un poste fixe. Or, les portables ont souvent remplacé les téléphones fixes et selon les opérateurs, la facture peut s'alourdir au fil des minutes d'attente souvent longues.

Dans la queue, Amel Ben Mrad acquiesce : "C'est sûr que l’accueil était très lent, des dossiers étaient perdus, il fallait toujours les ramener plusieurs fois. Mais la permanence téléphonique, ce n'est pas la solution non plus. Avant, j’avais un numéro qu’une amie m’avait passé, un 04, c'était pratique. Mais il ne fonctionne plus. Le nouveau numéro est un scandale, ça me revient à des factures de fou, c’est juste pour nous ruiner. Il faut qu’ils mettent une permanence dans les quartiers, je viens du 15e arrondissement, ça me fait la balade, mais quand même". 

62 856 dossiers en retard
 
A la direction de la CAF 13, on est conscient du bouleversement causé par cette fermeture drastique. Officiellement, il s'agit de mettre fin au retard chronique dans le traitement des dossiers des allocataires qui alourdissait encore la file d'attente des accueils. À ce sujet, les témoignages sont légion. Ainsi, Zamana Abdou, aide-comptable et jeune allocataire, a vu s'empiler ces dossiers de demande d'allocations sans obtenir de réponse : "Cette année, j’ai déménagé. Or, mon dossier d’APL est traité en même temps que celui de mon ancien logement, pour dire comment c’est lent. Ce dossier je l’avais déposé en octobre". Officiellement, c'est pour faire diminuer la pile virtuelle des dossiers en souffrance que la CAF a une nouvelle fois choisi de fermer ses points d'accueil physique. Cette nouvelle doctrine est clairement issue de la convention d'objectifs 2013-2017 signée entre la Caisse nationale et l'Etat.

Ce mercredi, l'ensemble de la direction faisait une conférence de presse pour se féliciter des résultats obtenus. "Nous avons concentré nos moyens sur le traitement des dossiers en retard, explique Jean-Pierre Soureillat, le directeur général de la CAF 13. Il en reste 62 856 dossiers en stock, ce qui correspond à une baisse de 42,6% depuis le 27 mars"

La CAF 13 partait de loin avec 105 593 dossiers en attente au mois de janvier. Ce retard dans le traitement est devenu chronique depuis plusieurs années. "Nous sommes sur la bonne pente", constate Jean Chappellet, l'administrateur provisoire de la CAF 13, depuis la fin 2012. En deux ans, la CAF a dû faire face à la complexification des dossiers, à une hausse du nombre d'allocataires avec la crise et à une réduction du nombre de ses propres agents. "Effectivement, nous avons perdu 70 équivalents temps plein et les effectifs doivent encore être réduits dans les cinq ans à venir, conformément au contrat d'objectif que nous avons avec l'Etat, reconnaît le directeur général. Mais nous avons tout fait pour respecter notre coeur de métier".

Démarche proactive à la CAF 13
 
Dans cette perspective, l'administrateur provisoire insiste sur la nécessité de rétablir l'accueil physique plus conforme avec la mission de service public de la caisse. Mais cette ouverture va de paire avec "un nouveau dispositif d'accueil" dans la continuité de "la démarche proactive" mise en place dans la foulée de la fermeture et défendue par Armelle Rutkowski, directrice adjointe : accueil sur rendez-vous au lieu de l'accueil dit "de flux", appel des allocataires par des "techniciens-conseil" pour faire avancer les dossiers en carafe et transfert sur le site internet ou la plateforme téléphonique pour tout renseignement.

Sur ce dernier mode de communication, Jean Chappellet ne méconnaît pas les difficultés financières qu'il peut produire chez les allocataires : "Nous avions installé des téléphones gratuits sur site mais ils ont été détruits à deux reprises. Nous avons donc renoncé. Ce numéro payant n'est pas une solution mais c'est un dispositif national". Là encore, l'administrateur provisoire ne se cache derrière son petit doigt : le temps d'attente peut être long selon les périodes du mois et coûter cher.

La vraie nouveauté débutera au début du mois de juin justement à l'antenne de la rue Malaval, à proximité du 3e arrondissement où vivent nombre d'allocataires. Il y sera effectué "un accueil libre-service accompagné pour une réponse généraliste". En clair, il n'est plus question de faire avancer son dossier personnel en se rendant à la CAF au débotté. On y trouvera un automate et un technicien pour en faciliter l'emploi. Pour un accueil plus personnalisé, il faudra prendre rendez-vous pour un accueil "expert" avec un conseiller qui aura selon eux pris le temps de travailler le dossier. Progressivement, cet accueil sera élargi aux quatre sites marseillais encore ouverts au public et à six sites dans le reste du département. Quatre ont définitivement fermé. 

Tchat sur facebook
 
Une vraie révolution pour des allocataires qui dépendent pour une bonne part de ces aides sociales. "A Marseille, cela représente la moitié des revenus d'un tiers des allocataires", reconnaît Jean Chappellet. Le moindre retard est donc durement vécu. Et ce n'est pas par le recours au traitement par internet ou via le tchat Facebook que ces problèmes peuvent être aplanis. Il n'y a qu'à lire les commentaires assassins sur le profil de la caisse pour en prendre conscience. La direction ne méconnaît pas le caractère expérimental du dispositif mais demande à être juger sur pièces d'ici quelques semaines et "via une enquête de satisfaction auprès des allocataires" une fois le dispositif lancé.

En tout cas, la réforme a dû mal à passer auprès des salariés de la Caf. Les organisations syndicales ont multiplié les mouvements sociaux ces dernières années pour demander des effectifs supplémentaires en lieu et place des fermetures d'accueil. "Ils font passer cela pour une nouvelle doctrine d'accueil alors que cela correspond à un projet national qui s'applique ici comme ailleurs, s'emporte Lionel Zaouati, secrétaire général CGT à la CAF 13. La relation aux allocataires, c'est quelque chose de délicat qui demande du contact humain. Il y a une forte attente de leur part et la question des moyens est cruciale". Du côté de la CFDT moins représentative, la réforme est plutôt bien accueillie même si Jean-Pierre Franceschi déplore "la mauvaise communication de la direction sur les fermetures".

En toile de fond de la réforme en cours, le délégué CGT pointe le blocage du conseil d'administration de la caisse des Bouches-du-Rhône suspendue depuis plus d'un an : "Les administrateurs sont les représentants des allocataires. Ils auraient leur mot à dire sur la réforme en cours". Retraité drômois, Jean Chappellet a été appelé à la rescousse par le gouvernement début 2013. Depuis, son mandat d'administrateur provisoire est renouvelé tous les six mois avec quelques périodes de carence. Une situation intenable. "Cela a évolué, sourit l'intéressé. Mon mandat est désormais d'un an". A la mi-juin, le directeur de la caisse nationale d'allocations familiales doit débarquer en juge de paix pour rabibocher les représentants syndicaux, patronaux et des associations familiales qui constituent le conseil d'administration. Trop tôt ou trop tard pour que ces derniers puissent valider la nouvelle doctrine d'accueil de la Caf.

Source : Marsactu - Benoît Gilles et Mariama Hassani, vendredi 23 mai 2014

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