Chasse : 13 114 fraudes détectées en 2010 par 629 contrôleurs. Une journée avec un limier de la CAF ...
Nanterre, un matin brumeux de novembre.
Une Renault Modus quitte le siège de la caisse d'allocations familiales
(CAF) des Hauts-de-Seine. Au volant, Patrick Martin*, agent de contrôle
depuis seize ans. Au menu de sa journée, quatre visites surprises au
domicile d'allocataires soupçonnés de fraude. Premier arrêt à Saint-Cloud devant un petit
immeuble sans prétention.
Mme Zali, qui touche le RSA, y élève seule
deux enfants et demande une aide au logement. Dans le dossier de Mme
Zali figurent les extraits de naissance des enfants ainsi qu'une
quittance de son loyer. Le nom du père des enfants et celui du bailleur
sont identiques, mais pas les prénoms. La CAF suspecte le beau-père
potentiel de Mme Zali de lui louer l'appartement, ce qui laisserait
supposer que le père des enfants n'est pas bien loin, voire qu'il vit
sous le même toit que Mme Zali, contrairement aux déclarations de
celle-ci qui lui permettraient de toucher une prestation plus élevée.
Patrick
Martin frappe à la porte. Des pleurs d'enfant retentissent."Je mets un
peignoir", prévient une voix féminine. La porte ne s'ouvre qu'à moitié,
laissant apparaître un visage mangé par des cheveux mal peignés. Dans
les jambes de la femme, un petit vêtu d'une couche.
"Mme Zali ? - Ah non, je suis Mme Marchal, Mme Zali n'habite plus ici depuis le 1er septembre."
Crédits photo : JEAN MICHEL TURPIN/Le Figaro Magazine |
La
méthode peut paraître archaïque, mais seule la visite au domicile
permet l'analyse fine d'un dossier qu'une batterie de contrôles a repéré
auparavant comme à risques. Examen des pièces administratives,
vérification de la cohérence des informations, échanges de données avec
le fisc et Pôle emploi aboutissent dans un premier temps à la sélection
des dossiers suspects. Puis les 629 contrôleurs assermentés de la CAF
partent sur le terrain. En 2010, ils ont effectué 262 000 contrôles qui
ont permis de détecter 13 114 cas de fraude, pour un préjudice de 90
millions d'euros. Une paille par rapport aux 60 milliards de prestations
versés à l'ensemble des allocataires, mais tout de même.
En
matière de lutte contre la fraude, la CAF est plutôt bonne élève
comparée à ses autres petits camarades prestataires sociaux. Mais depuis
peu, 2008 exactement. A cette date, elle signe une convention nationale
avec la direction de la Sécurité sociale et celle des Finances, et met
en place un répertoire national des bénéficiaires. Auparavant, chacune
des 123 caisses avait son propre fichier et ses règles
d'immatriculation, ce qui permettait à des petits malins de toucher une
même prestation dans plusieurs départements. Aujourd'hui, la
multiaffiliation, c'est terminé.
Direction Suresnes, à présent,
également pour une demande d'aide au logement. Le problème ?
L'allocataire, qui touche le RSA et vit seule, s'acquitte d'un loyer de 1
000 euros avec des revenus égaux à zéro. Il doit y avoir une erreur
d'adresse : Patrick Martin se dirige vers un immeuble mêlant verre et
parements de pierre blanche. Dans le hall, le marbre reluit, la loge du
gardien arbore des décorations de Noël d'un goût parfait, l'ascenseur
s'élève avec souplesse. Une blonde jeune femme a ouvert sa porte, qui
donne sur une vaste pièce se prolongeant par une petite terrasse
dominant un jardin. Des tabourets mariant cuir blanc et chrome
s'alignent devant le bar de la cuisine américaine. Une Nintendo DS
traîne sur le tapis, l'écran plat de 117 centimètres est encastré dans
un module laqué blanc, dans un coin un poisson tournicote dans son
aquarium enchâssé dans un cadre de bois exotique.
"Vous ne payez
pas de loyer ? demande à la jeune femme le contrôleur, qui a sorti de sa
sacoche le dossier la concernant. - Non, c'est mon ami. -
Qu'entendez-vous par ami ? - C'est mon copain. - Vous avez déclaré vivre
seule. - Ah, je pensais que ce n'était pas grave." Le contrôleur fait
écrire à la jeune femme une attestation selon laquelle elle vit
maritalement. Elle la signe sans sourciller, n'ayant pas l'air de saisir
qu'elle apporte là la preuve de ses fausses déclarations."Votre dernier
relevé de compte bancaire ? - Je ne l'ai plus. - Vous devez le garder
cinq ans, madame. Il va falloir nous fournir tous vos relevés bancaires.
Et ceux de monsieur. - My God !"
"My God", en effet : fausse
déclaration de situation familiale, fausse quittance de loyer... Les
preuves de la fraude sont là et la sanction pénale pointe son nez.
"Contrôler
une situation d'isolement en comptant le nombre de brosses à dents dans
la salle de bains, ça n'existe pas, explique l'agent de la CAF.On ne se
fonde que sur des documents. Parfois, on ne trouve pas la faille."
Indus, abus, fraudes...
Le décor est bien différent chez cette femme de 37 ans qui tient dans
les bras un nouveau-né de 1 mois. Ce qui a intrigué les techniciens de
la caisse c'est que, cette fois-ci, elle n'ait pas demandé une aide au
logement au regard de sa situation. Et puis où sont ses deux premiers
enfants pour lesquels la CAF ne verse pas d'allocations ? Ils vivent
chez leurs grands-parents dans le 93, ici elle ne peut pas les loger. Ce
serait difficile, dans 16 mètres carrés. La cuisine fait office
d'entrée, du siège des toilettes on peut surveiller la cuisson des
aliments. Dans l'unique pièce, pas de table, pas de chaise, pas de
meuble dans lequel ranger les vêtements. Ceux-ci s'empilent sur le
Clic-Clac sur lequel Patrick Martin a trouvé difficilement une place
entre couches sales et serviettes de toilette. La jeune femme a bien
demandé une aide au logement, mais celle-ci se serait égarée. Le père du
bébé est au travail. Il vient de changer d'employeur, le précédent
l'avait payé en chèques en bois. Le juge aux affaires familiales a lancé
une procédure pour que le géniteur des deux premiers enfants s'acquitte
d'une pension alimentaire. Les murs du logement sont neufs. Il y a peu,
l'immeuble a été déclaré insalubre, il était bourré de plomb, le
propriétaire a été mis en demeure de le réhabiliter."Il n'y a pas de
mystère ici, commente le contrôleur une fois sorti,ce sont de pauvres
gens."
Pauvres comme cet habitant de Rueil au RSA qui se débat
avec son impayé de 1 000 euros de loyer et qui vend sur Internet du
vieux matériel Apple qu'il a réparé, ce qui a intrigué les agents de la
CAF. Il est incapable de trouver les documents que lui demande Patrick
Martin, on ne peut pas faire un pas dans l'appartement bourré de
matériel, l'odeur de tabac prend à la gorge. Il s'énerve : "Vous croyez
que je vais tout ranger pour vous, vous arrivez sans prévenir, je
n'aurais pas dû ouvrir, il n'y a que les huissiers qui sonnent chez
moi." Il ne sait pas combien lui rapporte son commerce : "Les bénéfices,
c'est peau de balle. Je paie d'abord mes dettes." Il brandit le
courrier l'informant que l'électricité va lui être coupée.
"Pour
le moment, je n'ai aucune raison de penser qu'il fraude", constate
Patrick Martin. Il examinera les relevés bancaires que lui déposera
l'allocataire dans les quinze jours. Peut-être y décèlera-t-il un
élément montrant une erreur de déclaration ayant entraîné un indu. La
lutte contre les indus est une priorité à la CAF, bien plus que celle
contre la fraude. Et pour cause : ils se sont élevés à 2 milliards
d'euros en 2010. Ils sont la conséquence d'une erreur, d'un retard dans
la déclaration d'un changement de situation, d'une omission plus ou
moins involontaire. Le RSA, en ce domaine, est la prestation la plus à
risque, car elle repose sur du déclaratif. Le moindre retard dans la
déclaration d'une interruption ou d'une reprise d'activité peut générer
des versements excessifs ou insuffisants. Abus, fraude ?"Fraude de
survie, parfois", selon ce directeur de CAF.
Sur les 2 milliards
d'indus, la CAF estime que de 600 à 800 millions d'euros relèveraient de
la fraude. Recouvrés à 90 % grâce au prélèvement direct sur les
prestations à valoir. En ce début décembre, les caisses sont débordées.
C'est l'époque de l'année où commence l'examen des déclarations fiscales
des allocataires communiquées par le fisc... avec deux ans de décalage.
De quoi tout de même plomber quelques Noëls.
* Tous les noms ont été modifiés.
Source : Le Point.fr - Alix RATOUIS - jeudi 15 décembre 2011
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