Témoignage de Sylvie 13 (pseudo), Technicienne conseil à la CAF
Derrière mon guichet, je vois une population désespérée et en colère. Des gens démunis qui se sentent abandonnés de tous. Ils crient, pleurent, s’énervent. A la Caisse d’allocations familiales des Bouches-du-Rhône où je travaille, les hurlements sont devenus quotidiens.
Je me souviens d’un étudiant venu me voir parce qu’il ne touchait plus son aide au logement. Il me disait :
« Je fais comment ? Mes parents ne peuvent pas m’aider. Je vais devoir aller vivre chez des amis. »
Il avait un petit boulot mais ça ne suffisait pas. Il était gagné par la honte.
Je me souviens aussi de cette maman, venue avec ses trois enfants. On
lisait le désespoir sur son visage. Elle m’a expliqué ne rien pouvoir
acheter à ses enfants, pas même une bouteille de lait. Elle a fondu en
larmes devant moi et tout ce que je pouvais faire c’est dire : « Oui, je
comprends. » J’écoute, mais je ne peux rien faire.
Une heure d’attente pour trois minutes
Quand les agios et les loyers impayés s’accumulent, les gens me
disent : « Faites quelque chose, je vais être à la rue, on va entamer
une procédure d’expulsion. » Mais je ne peux rien faire.
Patrick Nosetto |
Nous recevons souvent une population en colère, désespérée, parfois
malade. Et nous n’arrivons pas à la satisfaire : nous sommes de moins en
moins nombreux, les allocataires de plus en plus nombreux.
Avant, quand un allocataire venait, on lui donnait un délai de trois
semaines avant que son dossier soit traité [lire encadré ci-contre,
ndlr]. Aujourd’hui la réponse est toujours la même :
« On ne peut pas vous donner de délais. »
Les personnes reviennent deux fois, trois fois, parfois quatre en
quinze jours, et à chaque fois on leur donne la même réponse. Elles ne
comprennent pas et le ton monte progressivement.
L’ambiance de la salle d’accueil est devenue électrique et difficile à
gérer, malgré la présence d’un agent de sécurité. Quand les portes
s’ouvrent, ce sont quarante personnes qui veulent entrer d’un coup et
qui se disputent les tickets. Certaines en sont venues aux mains. On est
obligés de filtrer les entrées depuis l’extérieur et de ne laisser
entrer que par petits groupes de dix.
A l’intérieur, une dizaine de bancs pour 60 à 80 personnes qui
attendent là, entassées, souvent debout. Dès que quelqu’un s’énerve, la
tension monte entre les allocataires. L’attente dure souvent plus d’une
heure. Pour trois minutes derrière notre guichet : nous n’avons pas de
temps à leur accorder.
« Si je te croise dans la rue, je te fais la peau »
Je sais que la tension peut exploser à tout moment. La personne calme
en face de moi peut soudainement se mettre à crier, m’insulter.
Souvent, je suis derrière mon ordinateur, je vois que le dossier n’a pas
été traité et je redoute de devoir l’annoncer. Je sais que ça va crier.
« Pourquoi moi ? Vous ne comprenez pas ma situation. Vous êtes une menteuse, des bons à rien... »
C’est toute la douleur et la frustration de leur situation qu’ils
déversent sur nous. Le sentiment d’impuissance est omniprésent.
Les incidents arrivent de plus en plus régulièrement : des agressions
verbales quotidiennes et parfois des agressions physiques. Elles sont
plus rares, mais elles existent : un collègue a reçu une chaussure, une
autre s’est fait gifler, les gens s’en prennent aux ordinateurs. Le plus
choquant, ce sont les menaces :
« Si je te croise dans la rue, je te fais la peau. »
Je me sens tellement démunie
Un jour, une personne a menacé de s’immoler devant nous. Elle tenait
une bouteille et criait : « Il faut vraiment que vous le fassiez
maintenant. » Un stress qui ne cesse de s’accentuer et qui rend notre
mission très compliquée. Je me sens tellement démunie.
Photo Jessika Lerayl |
J’ai régulièrement des migraines et des douleurs dans le dos.
Plusieurs collègues sont en dépression, enchaînent les arrêts maladie
car il ne peuvent combattre ce stress incessant. Chacun essaie de
résister à sa façon.
Dans mon département, les accueils ont été fermés pendant quinze
jours. Nous étions tous affectés à des tâches de liquidation,
c’est-à-dire de traitement des dossiers afin de déclencher le paiement
des prestations au plus vite et endiguer notre retard.
Malgré toute notre bonne volonté, ceci n’a pas été possible, le retard était trop grand.
Source : Rue 89 - 12 mai 2013
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