samedi 9 mars 2013

"Instaurer un congé paternité de deux mois", par Monique Boutrand

Engagée depuis longtemps dans le combat pour l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes cadres, la CFDT Cadres propose un nouveau levier : instaurer en France un congé paternité de deux mois.

PLAFOND DE VERRE ET DISCRIMINATION SALARIALE

Les chiffres sont têtus, les inégalités professionnelles perdurent. Elles sont encore plus marquées en termes de carrière et de rémunération pour les cadres. C'est pour les femmes cadres qu'on mesure le plus grand écart de rémunération à qualification et poste équivalents notamment à partir de 35/40 ans. Il leur faut souvent le recours aux quotas pour accéder aux responsabilités et ces discriminations pèsent sur leur retraite. Les choses évoluent peu, il est donc temps de changer de paradigme.

Les réponses aux inégalités professionnelles ont souvent conduit à des aménagements autour du congé maternité. Ces aides à la parentalité ont amélioré le quotidien des jeunes parents mais elles n'ont pas réglé la question des discriminations. Pour les jeunes femmes cadres en particulier, le problème est ailleurs.

La CFDT Cadres propose aujourd'hui de revendiquer un vrai congé de paternité significativement long pour modifier les représentations sexuées dans le travail. Si demain le jeune père dispose d'un droit à congé de paternité long, recruter un jeune, homme ou femme, impliquera alors d'imaginer l'organisation du travail et les évolutions de carrière en conséquence. Nous avons pour objectif de faire sauter un verrou psychologique auprès des décideurs en entreprise ou dans les administrations, souvent des hommes, verrou lié à une représentation de la performance corrélée à une demande de présence et de disponibilité quasi-permanente. Ainsi, tant que la jeune femme portera seule le risque potentiel d'une absence longue pour cause de parentalité, quelles que soient ses compétences, elle ne pourra représenter le profil du cadre efficace et investi dans son travail.

Il ne s'agit pas de revendiquer un avantage pour les cadres mais il nous semble que cette évolution du droit parental acquise pour tous sera un vrai levier d'égalité professionnelle dans le monde du travail.


UNE RÉPONSE À DE NOUVELLES ATTENTES

Les "attitudes culturelles" évoluent. Les jeunes pères considèrent qu'il est bon de consacrer du temps à leur enfant quand il est tout petit. Même si cette aspiration est aujourd'hui contrainte par les habitudes et les mentalités, une partie de ces jeunes pères, notamment les plus diplômés, diminuent désormais leur temps de travail à l'arrivée d'un enfant (D. Méda et H. Périvier, "le deuxième âge de l'émancipation").

Les jeunes pères craignent à juste titre en l'état actuel qu'un congé long nuise à leur carrière. L'expérience de leurs collègues femmes montre que la moindre absence est vite considérée comme un désengagement vis-à-vis du travail. 

La maternité est l'une des discriminations relevées par la Halde. 

Dans l'univers du travail, la prise en charge des questions de vie privée pour un homme est vécue comme un véritable désengagement par la majorité des employeurs comme par les collègues. La représentation sociale des rôles dans la famille est encore très sexuée. Dans ce contexte, si la loi imposait un congé paternité plus long, elle dédouanerait ces jeunes pères de la nécessité de justifier un choix personnel aujourd'hui marginal et contribuerait progressivement à changer les habitudes et les représentations.


RENDRE L'ACCÈS AU CONGÉ DE PATERNITÉ ATTRAYANT

La compensation financière pendant ce congé doit être en rapport avec la rémunération antérieure pour les hommes comme pour les femmes. Pour que les couples l'envisagent comme une opportunité à saisir, il est impératif que le manque à gagner financier soit acceptable. Le salaire du jeune père en congé paternité peut être légèrement moindre, prenant en compte par exemple les frais de garde qui sont ainsi économisés mais la rémunération du congé paternité doit rester attractive faute de quoi il restera un droit virtuel non utilisé. 

Des entreprises compensent déjà le manque à gagner sur le congé paternité de onze jours. La CFDT Cadres propose que la rémunération de ce congé soit au moins égale à 80% du salaire avec un plafond égal à deux fois le plafond de la sécurité sociale. C'est la condition pour qu'un jeune cadre imagine s'arrêter quelques semaines pour s'occuper de son jeune enfant.

Pour modifier les comportements actuels tant dans la famille que dans le travail, ce congé doit être rattaché au père avec le principe "pris ou perdu". Ce sont là deux facteurs facilitateurs évidents. Certains Etats européens ont déjà adopté un congé paternité conséquent et non transférable, notamment l'Espagne récemment ; la France peut s'engager dans cette voie.

Trouver de nouvelles voies pour améliorer l'équilibre entre vie professionnelle et vie privée et favoriser ainsi l'égalité professionnelle, source de richesse pour tous, est maintenant l'affaire des hommes et d'abord celle des pères. Les jeunes expriment le souhait d'un meilleur équilibre et souhaitent conjointement prendre en charge la vie familiale. Accompagnons ces nouvelles demandes sociales : c'est le sens de cette proposition de congé paternité que la CFDT Cadres est prête à négocier dans toutes les instances susceptibles de le mettre en œuvre.

Source : Le Monde -

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